En avril 2022, les planches originales de Sara, illustratrice virtuose, ont rejoint les collections graphiques du Centre national de la littérature pour la jeunesse, au sein du département Littérature et art de la Bibliothèque nationale de France (BnF).
Maquettiste dans la presse en parallèle d’une activité de peintre, Sara (1950-2023) compose aussi chez elle des tableaux de papiers déchirés avec un art consommé de la mise en page et du cadrage. En 1990, elle fait paraître chez Épigones un premier album sans texte, À travers la ville. Par la suite, fidèle à cette technique qui lui permet de développer son puissant langage pictural, elle publie, entre 1990 et 2023, une cinquantaine d’albums chez plus de seize éditeurs différents.
« Quand on déchire, on pose les formes les unes à côté des autres, on va de page en page, on fait avancer son personnage, et en même temps viennent des foules d’émotions, de souvenirs, de sensations, et l’histoire vient en même temps qu’on déchire. », expliquait l’artiste en décembre 2009 dans le cadre des rencontres « Les visiteurs du soir » à la BnF. Le papier déchiré, le choix des couleurs et la mise en page sont les trois éléments marquants de l’œuvre de Sara. Son travail d’illustratrice les articule dans une narration qui se passe bien souvent des mots, dont elle se méfie. Activiste de l’image, en dépit des quelques textes, très sobres, qu’elle concède à ses éditeurs, elle cherche à rendre le lecteur auteur de son propre regard.
Le papier déchiré est l’écriture de Sara qui joue avec les différents papiers, qu’elle sélectionne comme support ou comme matériau avec une grande dextérité. Elle suggère les émotions en quelques expressions des visages et des corps. La palette de couleurs de l’illustratrice est choisie avec précision entre décors et héros de papier (humains ou animaux) sans oublier leurs relations, avec des albums forts comme Éléphants (2006) ou La revanche du clown (2011). Ses rouges sont différents selon qu’ils incarnent dans le récit la violence, la colère, ou les larmes. Les jeux avec les contrastes de couleurs : noir et blanc et taches de couleurs vives sont élaborés. La mise en page de Sara est remarquablement réfléchie, venant compléter ainsi la matérialité des papiers et leurs couleurs pour une narration qui déroule l’histoire de bout en bout.
Une grammaire visuelle au service d’un imaginaire puissant
Au fil des albums, Sara met en place une forme de grammaire visuelle, réutilisant certains motifs comme autant de mots-clés ouvrant les portes de nos imaginaires. Son vocabulaire de papier est fait de personnages et de lieux récurrents : la femme en rouge et le chien jaune dans Mon chien et moi (1995) ou À quai (2005) ; le chat solitaire de La nuit sans lune (1994) ou du Chat des collines (1998) ; les forêts du Loup (2000) ou de La traque (2018). Son langage esthétique est structuré par des lignes verticales omniprésentes (rayures, grilles, barreaux, troncs, colonnes…) et des formes courbes (nuages, boules, bulles, astres…) avec lesquelles elle joue, les mélangeant parfois, comme les rayures du chapiteau de La revanche du clown ou les arabesques dont elle parsème ses planches. Elle s’appuie sur cette trame pour exprimer les émotions qu’elle souhaite partager avec le lecteur. Il en résulte des albums simples et profonds, parfois durs, toujours magnifiques, qui nous parlent de solitudes, de rencontres, de liberté, de deuils parfois, à destination des enfants comme des adultes.
Elle sait aussi se mettre au service des autres et éclairer leurs mots de ses images. À la demande des éditions du Genévrier, qui créent la collection « Ivoire » dédiée à des textes du patrimoine, elle illustre d’abord un choix de Fables de Jean de La Fontaine (en 2012), puis deux contes des frères Grimm, Le Roi-Grenouille ou Henri-le-Ferré » (en 2013), et Blancheneige (2014). Sont publiés ensuite deux contes de Charles Perrault, La Barbe bleue (2016) et Le Chat botté (paru en 2023 à titre posthume).
Sara donne à voir des scènes rarement illustrées (comme le repas de la marâtre et son châtiment final dans Blancheneige) et propose des cadrages audacieux, par exemple la découverte du cabinet macabre dans La Barbe bleue. Elle travaille particulièrement l’expressivité des personnages, comme celle de la princesse dans Le Roi-Grenouille. En nous plongeant dans l’atmosphère et l'émotion des contes, Sara nous invite à poser un autre regard sur ces histoires, et renouvelle en profondeur leur compréhension.